Ici, pour cheminer vers une réponse à la question du libre arbitre, nous allons d’abord analyser ces questions : est-il possible de parler de nature humaine ou d’essence humaine, et si oui, comment peut-on la définir? Ce qui revient à nous demander : L’homme est-il bon ou mauvais? Est-il libre ou est-il déterminé par les circonstances? Ou bien troisième solution, s’agit il d’une alternative fallacieuse et l’homme n’est t-il ni l’un ni l’autre – a moins qu’il ne soit à la fois l’un et l’autre ?
L’existence d’une essence de l’homme est fondée sur un relativisme anthropologique, qui prétend que l’homme est le produit de modèles culturels qui façonnent sa personnalité. Or, si l’essence de l’homme réside dans une certaine substance, on s’enferme du coup dans une position anti évolutionniste et anti historique qui implique qu’il n’y a pas eu de changement fondamental en l’homme depuis l’apparition de l’espèce humaine. Or il y a une différence évidente entre nos ancêtres les plus lointains et l’homme des derniers 4 à 6 millénaires.
Si l’on adopte le point de vue évolutionniste selon lequel l’homme est en perpétuel devenir, alors quel contenu peut on encore donner à la notion de “nature humaine” ou “d’essence de l’homme”? On ne peut pas résoudre ce dilemme non plus en définissant l’homme comme un animal politique (Aristote), un animal capable de se lier par des promesses (Nietzsche) ou un animal qui exerce une activité productive en mettant en oeuvre des facultés de prévoyances et d’imagination (Marx).
Mais, toutes ces analyses portent sur les caractéristiques essentielles de l’être humain, pas sur son essence!
Fromm propose de redéfinir la question de l’essence de l’homme non pas comme une qualité ou une substance donnée, mais comme une contradiction inhérente à la condition humaine.
Cette contradiction résulte de deux séries de phénomènes:
1.L’homme est un animal, mais a la différence des autre animaux, il est doté d’un appareil instinctuel incomplet qui ne lui permet pas d’assurer sa survie, si bien que, pour satisfaire ces besoins matériels, il est obligé de développer en lui des facultés nouvelles, à savoir la parole et l’aptitude à se servir d’outils.
2.L’homme est doué d’intelligence, comme les autres animaux, c’est-à- dire qu’il est capable de mettre en œuvre certains processus mentaux pour atteindre des objectifs matériels immédiats ; mais il possède également une autre propriété mentale qui fait défaut à l’animal. Il a conscience de lui-même, de son passé et de son destin – la mort ; il a conscience de sa petitesse et de son impuissance ; il a conscience enfin des autres en tant qu’autres – en tant qu’amis, ennemis ou étrangers. L’homme transcende toutes les autres formes de vie parce qu’en lui se réalise, pour la première fois, une vie consciente d’elle même*. L’homme est dans la nature, il est assujetti à ses lois et à ses caprices, et pourtant il la transcende parce qu’il lui manque cette ignorance qui permet à l’animal d’être partie intégrante de la nature – de ne faire qu’un avec elle.
Aussi l’homme est il en proie à un conflit effrayant puisqu’il est à la fois prisonnier de la nature et libre d’esprit. La conscience de soi qui appartient en propre à l’être humain a fait de lui un étranger dans le monde, un être isolé, solitaire et terrifié.
Ce conflit ne définit en aucun cas l’essence même de l’homme, mais plutôt ce en vertu de quoi l’homme est un homme, l’essence de l’homme résidant dans la question en soi et dans le besoin d’y apporter une réponse. Et que nos réponses d’ordre théorique (qui se reflètent dans nos idées et nos théories sur la vie) sont des réponses au conflit qui constitue en lui-même cette essence.
Au terme de cette étude, nous pouvons donc affirmer que les actions humaines sont invariablement dictées par des inclinations qui prennent racine dans des forces opérant à l’intérieur de l’être humain. Il arrive que ces forces atteignent une telle intensité qu’elles ne se contentent pas d’exercer une pression sur l’individu, mais le déterminent totalement -aussi n’est il pas libre de choisir. Par contre, chaque fois que des inclinations contradictoires coexistent au sein de la personnalité, il y a liberté de choix. Cette liberté s’exerce dans les limites des possibilités réelles existantes, possibilités réelles qui sont elles-mêmes déterminées par la situation d’ensemble. La liberté de l’être humain réside dans la capacité de choisir entre les possibilités réelles (alternatives) qui lui sont offertes. En ce sens, nous pouvons dire qu’être libre, ce n’est pas “agir en tenant compte de la nécessité”, mais agir en ayant conscience des différentes alternatives possibles et de leurs conséquences. L’indéterminisme n’existe pas ; les actions humaines sont placées tantôt sous le signe du déterminisme, et tantôt sous celui d’un alternativisme ayant son fondement dans une faculté qui est le propre de l’être humain : la conscience.